Montfleury

 

Exposition de Oussema Troudi à Ghaya Gallery, Mai 2016.

 

Ont accompagné ce travail par leurs textes Saloua Mestiri, Mohamed Ali Berhouma, Asma Ghiloufi, Mohamed Nejib Mnasser et Slimen Elkamel.

 

Une partie de l'exposition a été le fruit d'une collaboration avec la designer Asma Kouraïchi et les Ateliers VP Meubles. Les produits, des œuvres horizontales ayant la fonction de tables basses, sont au croisement de l'art, du design et de l'artisanat.

 


Oeuvres

Oussema Troudi, Tunis 1, technique mixte sur plâtre, 120x60cm, 2016.

Oussema Troudi, Tunis 2, technique mixte sur plâtre, 120x60cm, 2016.


Rosaces : 3 tables basses par Asma Kouraïchi.


Ouverture de l'exposition


 Montfleury

 

 

   D’une parole, mûre de murer l’appel du blanc pressé d’exorde, d’un bougainvillier mourant, de l’opaline hauteur sous le plafond, un vert propre à l’air que l’artiste inspire retient l’humidité de la nuit passée.

   Du sol pastellé, passe de l’ombre la raison, vers la lumière raisonnée, d’une myriade de marches, d’un Albinoni passager et de silence niais, se fie l’artiste au prompt jour.

   De mémoire, tombent le poème et le pamphlet, et de gribouillis s’exaltent les murs, et des cris de bébé, la joie diurne et l’amour singulier, labeur intime pour demain.

   Là où naît l’idée, meurt le péché de coucher l’envie sur des vestiges de projets. L’artiste sait.

   Sa mémoire le trahit, complotant pour sa virée, et il se trouve muet, et se fait sentir flanqué jusqu’à l’os, et plat jusqu’aux pieds. Se retire, l’artiste, de ses mots, et de ses marques, tend des filets à la patience, qu’elle fonde aussi morcelée, qu’une maison retrouvée, pour que regorgent du plâtre des vis enfoncées, et s’en dessinent des soleils désuets, de fils en aplats troués, la véhémence conduit, et la résistance incline le temps dans la foulée.

   Des pots empilés, des colonnes en colons proclamés, déjouent, nuancés, sa résolution de peindre, le peintre s’apprête à clouer. Des abysses balayés, se répand le soleil en poussière, et se rétracte au réveil, linéaire, pointillé. D’un Tunis parlé, monte la sentence, au mutisme gracié, de l’habitant des lieux, d’un habillage pensé, aux couleurs, terres de sa mémoire, vives de son geste, et de sa volition, figées. Quel art, si ce n’est ce laps de naissance, perpétuellement révisé ? Quelle tentation, de transcrire le souffle, sans mesure infiltré, dans les vierges murs et les dais renversés ? De l’accoutumance, je pense, ma parole délavée, à l’amour du poème, aux habitudes dépareillées, de creuser à la marge de l’art des évents pour couler.

  

Asma Ghiloufi

plasticienne, chercheur en design


 Glissent des vérités là où l’œil se pose

 

 

   Par un temps qui a la raison à l’œil, l’art visuel n’est pas forcément un art du visible. Se tasse, en effet, la pensée en couches, devant le travail d’un artiste peintre, son devenir et sa trace, appesantie, cette pensée, par tous les moyens qu’un spectateur s’offre pour tenter de comprendre.

   Tachiste, qu’il soit, pointilliste, graphiste ou dessinateur, Oussema Troudi est d’abord contemplateur de son support, qu’il invente d’ailleurs au fil de son intuition. Son art, est juste égal au temps qu’il dépense pour se résoudre à la matière qui le choisit. Sa création, en outre, dépasse souvent les moments de gestation intellective, pour empiéter sur sa moindre manière de discuter le bout de gras.

   L’exposition « Montfleury », n’est pas l’aboutissement d’un dessein, elle n’en acquiert même pas la mine de son titre. Cet ensemble d’œuvres, est, à mon sens, une tranchée dans le temps, dans le zèle et dans l’ambition de l’artiste, d’aller vers les dessous des surfaces, vers l’épaisseur du quotidien, en ayant l’art comme révélateur et non pas comme fin.

   Il m’aide, dans ma tentative d’anagogie pour le travail d’Oussema, que j’habite l’atelier qu’il habite. Un lieu interrompu de ses vocations, entier de sa constance, s’offre à l’appropriation de l’artiste, un air à inspirer et de la matière à vivre.

   L’idée de travailler dans la maison, lui est venue presque au même moment que celle de travailler sur la maison et par la maison. Travailler quoi d’ailleurs ? Il est à signaler, à ce propos, que ce n’est point la peinture, dans sa tenue technique et esthétique de composition, de matière et de couleur qui est à l’œuvre. L’artiste s’imprègne de ses environs physiques, pour panser ensuite l’idée de les arranger et de les traverser par l’expression qui ne les finit dans la narration insipide. Son dialogue avec son voisinage artificiel ou naturel, se fait sentir jusqu’au suc, depuis son travail avec et par l’eucalyptus[1], l’arbre qui marque nettement la sensibilité de l’artiste à l’au-delà de l’écorce des choses qu’il voit et qu’il vit. Dans ses gravures de sections d’eucalyptus, Oussema rend à l’arbre ce que le temps lui a pris, et crée de l’œuvre un écosystème dont la forme ne cesse de se verser dans le fond, et dont le sujet n’est que l’objet en reconstitution.

   C’est ainsi, qu’en côtoyant l’artiste, je présume égal son mobile à ses moyens qu’il sème d’ailleurs, par monts et par vaux, dans son quotidien intérieur. Il n’est pas que le fabricant de son art, il en est tout aussi le regardeur, parfois l’éleveur et souvent le résilié.

   Dans cette suite de travaux nommée « Monfleury », Oussema amène le mur à sa raison, pour y voir plus qu’un bâti et en restituer une existence autre que celle qui le réduit à accrocher le regard d’un habitant, sa déco ou ses pense-bêtes. C’est ainsi qu’il a pris de la graine de son atelier-maison, pour résoudre son gage à morceler l’espace en tableaux aussi réfléchis et construits que ce dont il dispose permet.

   Il est à souligner, en parlant de ses réalisations, qu’il y a deux plans de lecture. Le premier concerne la matière qu’il travaille et le deuxième porte sur la manière dont il procède.

   Dans son agissement, l’artiste explore le plâtre, en panneaux vierges, tels qu’il les récupère, encore humides, chez l’artisan. C’est sur des surfaces d’un blanc timide, qu’il peint, dessine, grave, cloue et révèle, par l’expression plastique, l’abîme d’un matériau dit de construction.

   Sa manière d’achever une œuvre, donne un sentiment d’un work in progress permanent, car il y incarne éventuellement la possibilité de passer à la suivante. Chaque œuvre est, toutefois, unique et chaque passage semble nécessaire et suffisant pour que l’harmonie opère sans prédisposition.

   La ligne se tend et les domaines de plâtre virginal accueillent les aplats de peinture, accusent clous et vis et acceptent sereins les aléas de la sublimation. L’artiste préserve aussi bien la matière que la trace de sa moindre manipulation. L’œuvre en raconte, alors, la représentation qu’elle est, l’impression qu’elle donne et l’histoire de son accomplissement, par l’artiste qui se produit dans et du chaos.

   L’œuvre « Monfleury » d’Oussema, est comme un réarrangement lascif et spéculatif de son quotidien. Elle se résume à des compositions métaphoriques, une minutie notable, de l’abstraction et tout le plaisir qu’un tissage de relief puisse procurer, tant à son auteur qu’à son contemplateur.

   L’artiste neutralise son intimité idéologique, subtilement sentie dans ses choix d’ingrédients pour la création, par un raisonnement sériel qui ramène aussi sa production à sa nature d’œuvre d’art.

   Les pièces de l’exposition sont aussi isolées que solidaires. Elles portent en elles l’intention de l’accrochage. Oussema Troudi, en recourant aux objets usuels de quincaillerie qui se rapportent aux coulisses de l’œuvre d’art finie, ne désacralise pas la création autant qu’il bénit sa gestation et sa digestion. Sa production se révèle, par conséquent, comme une sonde qui vient mettre à flot l’origine de son intention et toute sa propension à impliquer le réel dans sa démarche. Qu’il y est du hasard, dans sa pratique artistique, cela ne travestit point sa préméditation. Il arrive, d’ailleurs souvent, que le dessillement se fasse lors d’un déraillement ou d’une divagation dans le maniement de l’idée ou de la matière.

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[1] Projet de Maîtrise à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis, 2002.

 

 

Asma Ghiloufi

plasticienne, chercheur en design


Tunis 1 et 2

 

A toi

Lévitant de ton absolu

Et de ton contingent

Qui n’as d’ombre

Mais qui sues

Et qui serres les orées

à tes fonds

dans ma soif

tes fragments

et dans ma fin

fusent de vie

 

Tataouine

 

Causeuses

Et de vide se consument

Les sentes vers la béante évidence

 

Gabes

 

De ton ombre

J’émerge

Et me fais une lumière

 

Mahdia

 

De quel gîte

 Rêves-tu

 Qui t’attiédit

 Mais ne t’embrase ?

 

Sidi Bouzid

 

De mon ciel

Je t’abreuve

Et ne me lasse

 De ton guéret

 Où je pousse

Séliana

 

De sa pesée

Guérit le sol

Poussière moite

A l’œil donne des chimères

Et à la mémoire une fumée

 

Le kef

 

Se tiennent les prières

Par le creux

 Hymne à la vie sur terre

 

Kairouan

 

Tiens-moi

 Ce reste muet

 Que je termine de

 Baliser l’horizon

 

Bizerte

 

Renverse-toi

Que je me fasse

De ton sillage

 Une écume

 

Sousse

 

Au serment flottant

 Le sel donne son grain

 Entre quais

 Et son blanc

 

Gafsa

 

Je rapièce tes bords

 De mon fil

 Et je te dessine le soleil envidé

 


 

Asma Ghiloufi

plasticienne, chercheur en design


Dans les épaisseurs d’une surface ou quand la peinture fait le mur

 

 

   C’était aux alentours de 1999, à l’ISBAT : sur un banc, un étudiant assis. Sa tenue, son air grave mais serein, son imperturbabilité m’amenaient à me demander ce qui pouvait l’absorber de la sorte. Bien sûr, la curiosité me mut à sa hauteur, juste assez pour observer ce que put être l’objet de cette emprise sans être remarqué. C’était une main qui prenait la pose pendant qu’une autre, poussant une mine de graphite la dessinait sous le regard concentré d’un œil méticuleux. Je demeurais donc un moment pour observer un étudiant s’appliquant à dessiner ses mains.

   Plus tard, je sus que cet étudiant était Oussema Troudi. Un peu plus tard encore, je sus qu’en réalité, il ne dessinait pas mais tentait de comprendre comment cette forme était construite. Et il a fallu encore quelques années pour penser qu’il ne tentait peut-être pas seulement de reproduire un complexe anatomique mais qu’il s’ingéniait probablement à appréhender sa main dessinant, sa main faisant et, finalement, à penser la main prise dans les mouvements de la création.

   Aujourd’hui, écrivant en marge de sa 5ème exposition personnelle, je crois comprendre que, peut-être, cet étudiant d’alors, cet Oussema Troudi en devenir, menait un exercice de réflexion au-delà de la simple finitude graphique d’une main, sur sa dé-finition, sans doute du côté des mécanismes et des composantes du faire, sur ses postures manuelles qu’il a d’ailleurs auparavant proposées comme autant d’autoportraits ou l’ensemble comme un seul autoportrait[1]. Dans « Montfleury », c’est, je pense, le même travail que continue l’artiste : suivre cette pensée racinaire du geste de la création, aller là où ce geste éclos pour en ré-interroger toujours les motifs ; questionner ce que peut, ce que fait et ce que sait la main. Mais, encore une fois, il faudrait encore laisser le temps me révéler par fragments toutes les subtilités et les soubassements de la pratique de l’artiste. Aussi, écrivant ces mots, je ne ferais pour l’heure que coucher quelques intuitions premières autour d’une pensée créatrice à l’œuvre.

 

 « Mur aveugle : mur sur lequel

il n’y a ni porte ni fenêtre. »

 Encyclopédie du bricolage.

 

Les murs comme horizon

 

   Qui n’a pas laissé, dans un moment de songe éveillé, errer son regard sur ses murs ou au plafond ? L’œil est bientôt retenu par les singulières aspérités que l’on voit pourtant tous les jours mais abstraites et dissoutes dans une vision plate d’un mur. Ces aspérités, souvent adoucies par une couche de peinture, ou, quelquefois même, engendrées par la pose d’une couche non reprise, sont traces de pelage de rouleau, coulures d’une décharge de matière trop importante, écailles en reliefs ou petites parcelles en creux d’une antérieure surface trop fatiguée. De ce paysage à fleur de mur, l’œil songeur figure ses imaginaires et se laisse parfois aller, les minces ombres d’une lumière tamisée aidant, à élucubrer. Et plus l’on fixe le regard à quelque point d’achoppement, et plus ce paysage se fait mouvant et va s’assombrissant… Et l’on se réveille de ses élucubrations d’ombres de surface.

    Mais il arrive aussi que l’œil délaisse les chemins du songe pour suivre ceux de la matérialité des reliefs qu’il perçoit. Là, c’est une archéologie qui commence : du bout de l’œil, on fouille, se représentant les diverses strates qui habillent le mur, les différents âges transparaissant les uns à travers les autres, les différents temps de peuplement que ces parois ont abrité. On perçoit dans un timide gonflement circulaire qu’une vis faisait là son trou avant qu’il ne soit obturé, dans les fissures d’un petit éclat qui ne s’est pas laissé entièrement comblé d’enduit, qu’un clou a tenté une percée. Quelque fois même, un œil lucide croit deviner les contours d’un rectangle lumineux qu’une poussière n’a pu assombrir faute d’un tableau ou de quelque élément rectangulaire. Le vertige des temps que le mur porte en lui dessaisit l’œil archéologue des parois. Et l’on se réveille de ses explorations de surface profonde.

 

« La préparation des murs est un préalable indispensable à toute opération de peinture :

dépoussiérage, lessivage, décapage, enduisage, ponçage, etc. devront être soigneusement exécutés,

le bon résultat de vos travaux en dépend. »

 Encyclopédie du bricolage.

 

Voir par un mur aveugle

 

   Une poétique de la vie des murs intérieurs travaille l’œil qui s’y perd et la main qui s’y confronte. Ce fut sans doute le cas d’Oussema Troudi. Après un parcours nomade entre différents lieux d’habitation, c’est enfin entre les murs d’une maison à Montfleury que l’artiste se (ré-)installe. Habiter (et, dans son cas, réhabiter) un lieu est déjà en habiller les murs, en y comblant les anciennes traces d’occupation, les fissures, les usures ; en y couchant un nouvel épiderme de peinture, en y perçant, y clouant, y vissant des points d’accroche, en y ancrant ses propres murs faits de tableaux, de bibliothèques, d’étagères. C’est là, à la surface des stigmates d’une muraille réappropriée qu’une attention lucide s’est posée. Au-delà de l’errance, à fleur de mur, l’œil de l’artiste a perçu les promesses d’un pictural, d’une plasticité. Bientôt, les murs ne seraient plus les simples cloisons d’accroche mais l’accrochage même.

   Mais il ne s'agit pas de reproduire ou de recréer les pans de murs érodés par leurs successives occupations, de transposer mimétiquement leurs topographies minérales et vinyliques que le temps a modelées. Cet univers de surface fut sans doute l’impulsion première pour cette expérience picturale. En guise de parcelles murales, des plaques de cloison sèche, de plâtre qui s’offrent avec leur paradoxe : une forme jouant la rigidité dans une matière faîte de fragilité. Le plâtre n’oublie pas son originelle pierre gypsée et sait aisément se laisser pulvériser en stuc. Sur ces apparentes murailles d’une fragilité étonnante, l’artiste déploie ses gestes de bricoleur mais dans une intention et une attention de peintre. Des passages de rouleaux surfacent de gris et de couleurs la plaque. Un grattoir cherche fébrilement la blancheur du plâtre sous la couleur. Une perceuse ponctue les lieux où se logeront chevilles et vis dont la cruciformité est aussi graphie. Les premiers points sont posés ; sont clouées des crochets suédois qui seront les centres de rayonnement d’un fil tendu entre les différents points qui dessinent désormais une trame de tension. Et par tous ces bricolages détournés, le peintre compose, dessine, crée ses parcelles murales érigées en paysages picturaux. Entre ses murs, le peintre emmuré ouvre les espaces de ses voyages, de ses trajets, de ses horizons. Quelquefois, les ornements de plafond en plâtre deviennent aussi supports où des jeux de fils tendus regéométrisent les lieux. D’une œuvre à l’autre, le fil semble dessiner, jusqu’au vertige, les parcours infinis d’un œil traçant ses cartographies aux murs et au plafond.

 

    « (…) le B.A.-BA du bricolage n’est pas seulement un alphabet élémentaire.

Il est aussi une initiation indispensable à des travaux moins simples et de plus longue haleine,

une sorte de solfège nécessaire à l’exécution de morceaux plus savants. »

 Encyclopédie du bricolage.

 

Dans la profondeur des surfaces, une pensée prend racine

 

   En voyant ces plaques de plâtres, ces pans de murs que l’artiste aérait pour les déshumidifier, en voyant cet outillage se prêtant aux divers travaux sur les parois murales, le corps du peintre m’a semblé réanimé par ses corps d’antan où il était maçon, ouvrier, arpenteur des murailles. Le peintre tel qu’il fut dans ses premières heures de gloire renaissantes : fresquiste. Dans sa maison de Montfleury, dans ses lieux du faire qui sont aussi ses lieux de vie, j’ai pu apercevoir l’envers de ses supports où le plâtre est tantôt lisse et encore frais – et j’imaginais la douce surface d’un intonaco dans lequel le fresquiste renaissant imbibait ses couleurs –, tantôt rugueux – semblable à l’arriccio grossier qui servait de couche première au support de la fresque. Ce sont aussi les fils tendus à des points de rayonnement qui me rappelèrent aussi le peintre renaissant traçant et quadrillant son espace en battant le fil chargé de pigment. Telles étaient les premières visions qui me frappèrent à la vue de quelques parcelles de l’univers matériel de l’artiste.

   Un autre retour aux sources de la création me semblait aussi poindre dans la manière qu’Oussema Troudi aborde l’acte pictural qu’il propose. Un retour vers cette science que Lévi-Strauss dit « première », celle du bricolage. Un autre corps, premier, sous-tendait donc celui du peintre. Les marteaux, les tournes-vis, les spatules, les rouleaux de peinture, les mètres, bref tout dans les espaces de création de l’artiste nous renvoie à cette dimension première du faire. Mais ce n’est pas seulement ce champ matériel qui dit le bricoleur ; c’est aussi le détournement qui le caractérise, continue Lévi-Strauss. Ce qu’il y a de plus habile dans le travail de l’artiste est qu’il détourne les moyens même du bricoleur en champ d’action plastique ; en somme, il bricole le bricolage de la même manière qu’il dessinait une main qui dessine.

   En perçant, clouant, vissant, tendant, attachant, enduisant, comblant, grattant, martelant, l’artiste tourne les actes d’un quotidien tâcheron travaillant ses murs en possibilités créatrices et en parcelles murales visuelles ouvertes. De la même manière qu’un bricoleur s’affairant à ses murs pour les prémunir, les parer et pour finalement y accrocher quelque élément, Oussema Troudi, dans sa geste créatrice, pousse le bricolage dans ses prolongements esthétiques et bricole ses pans de murs plâtrés pour y accrocher, enfin, notre regard.

 

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[1] Cf. œuvres intitulées « Postures » pour l’exposition Autoportrait (30 Novembre 2014-10 Janvier 2015) à Ghaya gallery.

 

 

Mohamed-Ali Berhouma

 




" ثمّة طريقان مفترقان في غابة صفراء،

 ويا لأسفي فليس بوسعي أن أطرقهما معا."

 روبرت فوست، الطريق غير المطروقة

 

 

أعمال أسامة الطرودي هي سؤال عن الطريق و الطريقة والطرق، و الطريق تؤنّث و تذكّر و هي السبيل، والطريقة هي السابلة، أما الطرق فهو الضرب بالحصى وهو الضرب و أصل الطرق الضرب ومنه سميت مطرقة الحداد.

        والطرق هو الماء الذي حيض فيه وبيل وبعر فكدِر، ويقال طرق الفحل الناقة يطرقها طرقا وطروقا أي قعا عليها و ضربها.

 مونفلوري اسم حيّ و اسم معرض، تلّ مزهر غير مطروق يحاول التشكيلي طرقه بالمعاني الآنفة المتعددة، في مونفلوري منزل/ورشة/حضيرة يُبقع فيه أسامة و يَبقع.

 إن كان لك أو لديك طريق فإنغمس في الماء الكدِر لتعبره أو اصمت ولا تتساءل طويلا حول ما يمكن أن يكون ممارسة فنية معاصرة في هذه البلاد، في تونس، ترشيش، خزنت السردين منذ آلاف السنين.

        كم كان المعرض جميلا يوم علّقت الأعمال الفنية و اخترنا لها الاضاءة المناسبة و الكافية، ولكن لنعد الى الوراء قليلا، فقط قبل التعليق بسويعات . طرق في الحائط وتشققات، مسامير نسيت هنا و هناك، فتحات صغيرة و كبيرة انتهت صلوحيتها يوم غادر العارض السابق المكان و لم يعرها اهتماما. كلّ يستعيده أسامة الطرودي ويستدعيه إلى فضاء يشكله و يبنيه، جصّ ومسامير وخيوط ترتق الفتق، لوحة/ حائط  وعلى خلاف انطوني تابييس الذي جعل منها أثرا ورموزا تحضر هنا بما هي "ما وراء اللوحة" بما هي محمل المحمل فقط شاهدا لاغير.

 

      إنه طرق بما هو ضرب، يلج المسمار الحائط فتنبت الأشكال و الأحجام ويزهر تلّ مزهر في سيدي بوسعيد، تتخذ الأعمال المقدمة الحدود اللزجة مسكنا و موطنا فلا هي رسم و لا هي نحت، انها حالة عاجلة تساءل السابق و اللاحق في تجربة الفنان وتدفع المتقبل إلى النبش في مجمل التعبيرات الفنية التي قدمها.

 

في الختام نختم بما ختم روبرت فروست قصيدته الطريق غير المطروقة،

  " ثمة طريقان مفترقان في غابة، وأنا-

 أنا من اختار غير المطروقة منهما،

 وقد كان ذلك الاختلاف بأسره."

 

محمد نجيب منصّر

 


انتبه أشغال :

 

 مونفلوري في طور البناء

 

 

  مونفلوري، حي عتيق في قلب العاصمة : التل المزهر، مازال يحافظ على اخضراره، و قدم أصاب جدرانه فتآكلت بفعل الزمن و العوامل الطبيعية فهرم و بانت تجاعيده و غزته الخربشات و ندبت وجهه خدوش عفوية، فتطايرت نتفه و شظاياه. في موقع مرتفع تطل على تونس، شوارع فسيحة و جدران تعرض نفسها للفرجة و التأمل. للحيّ جسد حيّ يتطور باستمرار، النظر إليه تحليق بعين لها جناحان يرفرفان.

 

  يتوجب علينا تعلم رؤية العالم و التدرّب عليه، هذا هو رهان أسامة الطرودي المسكون بالمكان، شديد الاهتمام به، كثير السؤال عنه و في حيرة دائمة : لوحة معلّقة على الحائط هذا مألوف، لكن ماذا لو سحبناها و نظرنا الى  جذريته و جدارته ؟

 

  اللوحة جدار من الوهم أو التضليل أو الإبهار في حين يمثل الجدار محملا حاملا مشحونا ماديا و رمزيا و تاريخيا أما الفعل الإنشائي فهو بناء و ترميم و تزويق و ترتيب و حفر و صقل و تنظيف. يصير الخط خيوطا متدلية ترسم خرائط و تخطيطات هندسية واللوحة ليست خشبا بل لمحة بصرية فهي من صميم فعل لاح يلوح أي بان و ظهر و انكشف قمرا و بحرا و أفقا ممتدا و تحول اللاّمرئي مرئيا. هذا التعريف "الفخ" للوحة العلامة نابع من تعالق عمقها الماهوي بشكلها المادي الذي سيلوح لفترة ثم يؤول للزوال. هذا نعشها الأبيض النقي دقت فيه مسامير و ربطت فيها خيوط سيرحل إلى أعماق الذاكرة.

 

  نافذة على حائط، جزء مقتطع من سقف، مفردات تزويقية جاهزة، من هنا يبدأ أسامة حيث ينتهي الحرفي فيوطّن ممارسته في مادة الجبس كمن يبحث عن أرض يسكنها فيقترح مشهدا متخيلا و اشكاليا يحيل  بحياء الى الطبيعة.يأخذ الجبس طريا يرشق فيه مسامير ينتظره ليجف فيتماسك الشكل مستطيلا أبيضا مسطحا أملسا بكرا طاهرا كصفحة عذراء.تقطع المسامير  بياض سكونه  و تحرّك الخيوط المترابطة بينها هدوئه  و تحول الأمواج اللونية  الفضاء إلى   بر و بحر و شمال و جنوب  و أمواج متلاطمة ورياح عاتية.

 

أن تربط نقطتين إلى بعضهما في فضاء،أن تطلق خيطا في الهواء، أن توثق مساحتين مختلفتين إلى بعضهما،أن تشبك بين اليمين و اليسار ،أن تلحق الأعلى بالأسفل، و تجمع الأرض بالسماء،أن تنتبه إلى تناقضات تجمع بينها و ترسم الحدود ،أن ترقص على خيط في الهواء وتلهو عبثا بين نقطتين فلا تصل إلى نهاية، أن تتأرجح بين التمثيل و التجريد : ذلك هو الرسم  مشي على الجدار و فوقه  و تحته ، أقرب إلى لعب حر للمخيلة و كل حركة جديدة ينبعث منها رسم جديد فيأخذ الشكل شكله. ليس أكثر من خط و نقطة على مسطح و بأقل ما أمكن من الاختزال و التقشف يصبح الرسم مفهوما و مفهوميا.

 

  غير بعيدا عن جيرانه الحرفيين  يقف أسامة مستعملا موادهم و أدواتهم كما يستعيد طرقهم الإجرائية فيلعب أدوارهم بمرح و تفكّر. يشتغل معهم .الفن للجميع بين أياديهم.تمتزج عنده الأدوات و تختلط فيمر  بينها بسهولة و سلاسة: أقلام،مطرقة ،ميزان،ملعقة،فرشاة، مسامير،خيوط،مفك.......كلها تصلح للتشكيل مثلما صلحت للبناء و الطلاء و المعمار و الهندسة و النجارة.هذا الاحتفاء بالحرف اليدوية ليس استعاريا بل مشروعا  فعليا ،فلكل يد هويتها و تاريخها و عقلها الباطن الذي يقودها و يهديها، تحمل في أناملها  طبقات متكثفة من الأفعال و السلوكات .اليد التي تفكر و التي تنفذ و التي تتحرك ،السريعة و اللطيفة و المتأنية و المتشنجة و الدقيقة و المتسرعة و الهاوية و المحترفة ،يد  الجباس و النساج و الطباخ و النجار و الحداد و الدهان و البناء ،هذه هي الأيادي كلها مجتمعة يكتب بها أسامة و يرسم و يعيش."الرجل الذي يحلم لا يمكنه أن يمنحنا فنا لأن أياديه نائمة" )هنري فوسيون( غير أنّ الأيادي الحالمة ليست بالضرورة نائمة و لا الصفحات البيضاء فارغة .يحرك أسامة  يديه الحالمتين في الاتجاه المعاكس فيضيف الى التقني  وعيا و حلما و أسئلة و يجعل من الممارسة تجريبا مغامرا و  حرا.هذه السلسلة الجديدة من الأعمال بنيت في مفترق  طرق بين الرسم و النحت و الحفر و الخربشات العفوية ،بين المادة و السطح و الملامس و الحياكات ،بين مونفلوري  في طور البناء  و تونس الحلم المتواصل.

 

               

 

                                                   سليمان الكامل

 

 

 


Oussema Troudi ou le bricolage érigé en art

Alya HAMZA

Journal Lapresse (Tunisie), 22 Mai 2016

 

   Tout l’argumentaire repose sur des entrelacements de fils, des croisements improbables, des liens impossibles, des jonctions inappropriées, des nœuds insolubles…

   On l’a découvert jouant sur les partitions musicales, utilisant les croches et les notes comme support artistique. On l’a suivi dans ses expérimentations informatiques, évoluant dans un pointillisme sidéral. On a été attentif à ses recherches, aux voies qu’il explorait, à un parcours qui, selon les galeristes et les critiques, faisaient de lui un des talents les plus prometteurs de cette nouvelle génération d’artistes oscillant entre le conceptuel et le politiquement incorrect. Lui ne cherchait ni à provoquer ni à choquer, encore moins à perturber. Et quand message il voulait transmettre, c’était par allusion, suggestion…

  

   Chez Ghaya Gallery, on découvre un aspect inconnu de Oussama Troudi : celui du bricoleur qui détourne le bricolage en œuvre d’art. Tout est né d’un projet de table. Aycha Ben Khalifa la lui réclamait depuis longtemps, lui laissant libre cours quant à son interprétation. On en vint à suggérer un travail avec des fils….Et on arriva à cette exposition où toute la démarche, tout l’argumentaire repose sur des entrelacements de fils, des croisements improbables, des liens impossibles, des jonctions inappropriées, des nœuds insolubles, des rencontres impossibles. Les œuvres ont des noms de villes : des cités du Nord et du Sud qui ne se joignent pas, celles des côtes et de l’intérieur du pays qui n’ont pas de contacts entre elles, celles qui s’ouvrent à l’horizon, celles qui se referment sur elles-mêmes.

   Quant au support, Oussama Troudi innove : parce qu’il n’y a pas de magasin de matériel pour les Beaux-Arts dans ce Montfleury où il vit et travaille, mais aussi parce qu’il croit que l’art n’est pas seulement «riche», l’artiste s’approvisionne dans les quincailleries : le plâtre pour support, pour traduire la fragilité des choses, leur précarité mais aussi les faux-semblants que cachent les apparences. Les clous pour dénoncer la passion du pouvoir, cet attachement irrésistible de ceux qui le détiennent à leur poste, et l’adage populaire du «mosmar mkhazez».

 

   Déconcertante, certes, cette exposition de Oussama Troudi, expliquée à sa manière par Mohamed Ali Berrhouma :

«En perçant, clouant, vissant, tendant, attachant, enduisant, grattant, martelant, l’artiste tourne les actes d’un quotidien tâcheron travaillant ses murs en possibilités créatrices et en parcelles murales visuelles ouvertes. De la même manière qu’un bricoleur s’affairant à ses murs pour les prémunir, les parer et pour finalement y accrocher quelque élément, Oussama Troudi, dans sa geste créatrice, pousse le bricolage dans ses prolongements esthétiques et bricole ses pans de murs plâtrés pour y accrocher, enfin, notre regard. »

 

   Nous, on aime aussi cette ode à un vieux quartier oublié, Montfleury au joli nom, que l’artiste a choisi comme lieu de vie, lieu de faire, espace social dont il met à contribution les artisans et dont il convoque la mémoire.