Asymptotes, paraskevidékatriaphobie

 

Exposition de Oussema Troudi et de son invité Ahmed Maamar.
Galerie de la Bibliothèque Nationale de Tunisie, Mai 2011.

 

Textes de Fatma Belhedi (figurant dans le catalogue), de Amira Nasri, de Abdelhalim Messaoudi et de Meysem Marrouki. Qu'ils soient tous remerciés.


Accumulation 2 : Installation photo de Ahmed Maamar

Ahmed Maamar, Accumulation 2, installation photo, 2011.

 

Installation de 432 photos de 640 x 480 pixels de dimensions, prises en Tunisie et en France, avec un téléphone portable, sans retouches.


Asymptotes, série de peintures de Oussema Troudi

Oussema Troudi, Chair, os et bleu ciel 1, 2 et 3, technique mixte sur toile, 130x98cm, 2010.

Asymptotes


  Nous sommes quelque trente-six-mille droites, dessinées par un oubli...

 

  Nous sommes un quelque trente-six-mille, réduits à toujours rester aussi dignes que l’effacement de nos lignes. Quand à nos lignées, nous ne pouvons que subir le -isme de leur ostracisme...

 

  Nous ne sommes que continuités de points, de moments, dirigés par quelques marges et quelques déroutes.

 

  Nous sommes aussi tracés que nos acheminements, nous croyons souvent au hasard, mais nous suivons nos trajectoires, nos chemins, nos destinées, sans brancher, sans crier quand une autre de nos lignées devient gauche, se mêle à nos points et choisit un autre chemin.

 

  La nature fait tache en nous, et quand nos quelques perceptions d’elle nous font défaut, nous coulons, nous mélangeant à cette chose, nos lignes en souffrent, en deviennent liquides, nos couleurs se diversifient et nous suivons cette chute, lente, macabre mais paradoxalement plus colorée.

 

  Certains d’entre nous survivent, ils passent leurs chemins et retournent à leur droiture, d’autres continuent dans leurs fatalités discontinues et gauches.

 

  Nous, nous sommes cette minorité qui a préféré l’humain au parfait.

 

  Nous en avons été disgraciés, châtiés, éparpillés par les lignées droites, alliées des gauches désormais, et forcenés par nos natures, nos ratures et nos couleurs.

 

  Nous atterrissons tous au sol, mais ce que la nature a fait de nous nous est à jamais irréversible.

 

 

Fatma Belhedi

محمد نجيب منصّر


Oussema Troudi, Chair, ocres et oxydes, triptyque, technique mixte sur toile, 183x92cm, 2010.

Les gosses d'une Gnossienne

 

Quand mon ogre se mêle à ton ocre. Noir, couleur ? coule quand même, cale le gauche, à droite ? mes parts sont des lignes droites.

 

On est droits et droitiers, sauf quand Léonard simule sa droiture dans un miroir.

Je suis bleue à l’idée que ce vieux presse ses oranges à l’ombre d’un oranger.

 

Mon marginal préfère, pourtant, les pommes, et pour pécher des deux cotés, il a bien des couilles. Et même quand c’est droit, je ne dois pas castrer mes mots.

 

Les lignes sont toujours musique. Je révèlerais bien le secret de l’Ôté, mais il eut fallu enlever t à peinture, comme on enlève un t à Satie.

 

Les rires sont souvent satiriques.

 

Fatma Belhedi

 


Oussema Troudi, Embuées 1, acrylique sur toile, 120x90cm, 2010.


Oussema Troudi, Embuées 3, acrylique sur toile, 120x90cm, 2010.

Oussema Troudi, Embuées 2, acrylique sur toile, 120x90cm, 2010.

« Dancing in the rain » ou l’apothéose de la nature sur ma pauvre fenêtre martelée. Je ne pense pas sortir ce matin, ni pour m’acheter du pain, ni pour noyer mon chagrin. Je vais prendre une chaise, là, m’assoir le nez collé aux carreaux de ma vitre et voir mourir les larmes au loin, au sol, sur le trottoir d’en face. Je vais quitter mes occupations turlupinées d’un parfait citoyen intègre, m’oublier moi, ma barbe naissante,

mes trente années glorieuses, mes rêves artistiquement corrects et mon déjeuner qui doit sûrement brûler en ce moment. Je griffonnerai un

« je t’aime » anonyme sur le verre embué, et comme pris sur le fait, j’essuierai le tout avec le manche de ma
chemise soigneusement repassée. Quand je me serai
lassé de mon manège improvisé, j’aurai l’air un peu désolé, le ciel se verra dégagé, la brume de ma mélancolie m’aura surement épargné et mes pensées
se travestiront en de joyeuses comptines printanières.
Entre temps, mon déjeuner aura officielle-ment le goût du roussi, et moi j’aurai faim. Je reprendrai, le ventre creux, le vieux rythme des journées fatigantes, j’irai au boulot et je lâcherai entre deux pauses cigarettes une injonction ironique : "Quel temps de chien !"

 

Fatma Belhedi


Oussema Troudi, Automnales, acrylique sur toile, 120x270cm, 2010.

Amarrage

 

Amer amarrage.

Douceur d'une mer rageuse de noir.

Ancre assombrie.

Que l'on crie !

Aux vestiges de quelques noirceurs, l'ayant oxydée, l'ayant consumée.

Que l'on laisse mon peintre !

Aux prises avec monstres, montres et marges.

Aux larmes salies, salées, au sol d'une mer agitée.

Lumières aveuglant les aveugles habitués aux chaines du temps.

Immuables, droites, fines, blanchies.

Tant d'éloges pour une infime fraction de seconde dans un moment de vie où les dures heures, perdurent toujours.

Mais a-t-on donc le temps d'entrevoir le ciel crémeux d'une mer tellement agitée de vagues noires, tellement agitée qu'il suffirait d'y poser pied pour que noyade s'en suive, fatale et certaine.

 

Dites le moi, a-t-on donc le temps ?

 

Fatma Belhedi

Oussema Troudi, Amarrage, triptyque, acrylique sur toile, 360x90cm, 2010.

Recette d'un amarrage

 

Prenez un homme, ni grand ni petit, ni beau ni laid, ni bon ni mauvais.

Tenez le droit, bien droit entre deux lignées d'autres hommes tout aussi intègres.

Placez-le dans une vie bien jaune pour éviter quelques clichés indigestes.

Déplacez-le d'un chapitre à un autre et faites-lui simuler des droitures à la fin de chaque tourment.

Faites jaillir ses peines avec une pincée de noirceur martienne.

Ravivez ses temps moroses.

Remuez sa détresse, et éteignez le tout pour un laps de temps à chaque chapitre clos.

Une pincée de blanc quand cela bouillonnera plus qu'il n'est indiqué.

Puis quand vous sentirez que votre homme est cuit, jetez le dans du noir et laissez fondre.

 

Votre homme doit complètement se diluer dans sa vie jaunâtre et oxydée jusqu'à qu'il n'y ait plus d'homme et que traces s'en suivent.

 

 

Bon appétit.

 

Fatma Belhedi


 

Arafa

 

Pèlerins en haut de Jabal Arrahma, Arabie Saoudite, 2010.

 

 

 

   Cette série d'images a été créée en recadrant des photos prises par un groupe de pèlerins tunisiens sur les hauteurs de Jabal Arrahma (Montagne de la Miséricorde) située dans la région de Arafa. Sur cette montagne où le prophète Ibrahim allait sacrifier son fils Ismaïl, s'élève une construction en forme de stèle, sur laquelle les pèlerins marquent spontanément la fin du rituel en inscrivant leurs noms et leurs prières.
Album facebook




 

I/ L’A-Rencontre : (du gr. sumptôsis, rencontre)

 

« Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. »

(Jean Paul Sartre, La Nausée)

 

 

Au bout de l’Infini, le Néant honni…

Languissant d’attente, un zéro manque pourtant le rendez-vous immanquable avec un huit évanoui…

Quand un cercle se délie de sa fatalité de résurrection, une droite aura besoin de plus qu’un lit pour établir avec lui un point, une relation ;

Tous deux damnés à s’effleurer, à se frôler, sans qu’il y ait pour autant d’intersection…

…Au bout du Divin, le Mortel importun (ou peut-être l’Humain opportun)…

Languissant de prière, la Chair manque pourtant le rendez-vous immanquable avec un Dieu qui semble trop pris dans d’autres affaires…

Quand une âme se délie de sa fatalité de résurrection, un corps aura besoin de plus qu’une vie pour signer avec elle un acte de contrition.

Tous deux damnés à s’effleurer, à se frôler, sans qu’il y ait pour autant d’incarnation…

…Au bout de la salle, la noirceur pâle…

Languissant de colère, une mer manque pourtant le rendez-vous immanquable avec un tonnerre…

Quand une vague se dégage de sa fatalité de résurrection, un firmament aura besoin de plus qu’un rivage pour avoir avec elle une conciliation.

Tous deux damnés à s’effleurer, à se frôler, sans qu’il y ait pour autant d’immersion…

 

 

II/ L’Art, on contre : (contrepèterie de : l’Arc, on entre) :

 

 « De là, l’arc (arcus « arc-en-ciel »), embrasse les airs d’un cercle imparfait :

coloré de faibles nuances, il boit l’océan, apporte aux nuages les flots

qu’il ravit, et rend au ciel cette mer qui en tombe sans cesse. »

 (Lucain, La Pharsale)

 

…Tantôt, contre le temps, et pourtant, non à contre temps, et tantôt, dans le sens des aiguilles d’une montre, je gravitais, tel un derviche tourneur, autour de mon centre…

Et finalement, j’avais opté pour le contre.

Cependant, asymptomatique semblait ma métamorphose asymptotique…

Linéaires ou cycliques, les ondes de lumière, bien qu’à peine m’effleurant, me frôlant, me noyaient dans cette enragée de mer, matrice apocalyptique.

…Les « amas de rage », tels des « âmes en rage », se déchainaient de leurs « Amarrages », et la goutte, enfin libre, se convertissait « en buée »…

Mais la ternissure n’était en fait qu’ « embuscade », et le voile des couleurs « embues » cachait à peine, tel un cocon, la Surprise qui fut de tant d’éclat imbue.

Le « Compromis » conclu, le bras de fer entre mer et terre fut furtivement résolu, et pointait du bout des doigts l’Etre tant attendu…

« Sur-éprise » j’étais, par la Surprise qui me guettait, ou que peut-être je guettais (qui sait ?) dans mon asymptotique épopée ; car pour l’être amariné que j’étais, c’était au Nord qu’immuablement ma boussole se dirigeait. Et à voir, à ma surprise, la Surprise priant, à contre-jour, dos à la Kaaba, à Arafat, à la mer, je perdais d’un coup mes repères !

Se noyait-il de prière, à contre-lumière, dans ce mur de larmes, de lamentations, cet austère, fils de mer ? Ou fondait-il juste de larmes pour se reconvertir « en buée » amère ? Car, seules les gouttelettes d’eau accoucheraient aussi bien d’arbres que de chair ?

Cellules-filles issues de la première « embuée-mère », ou fausses jumelles, les deux « embuées », verte et bleutée ( à une différence d’un rayon de soleil près), étaient aussi belles que rebelles, prenant progressivement, comme se devait de faire, un être naissant, « Chair, os et bleu ciel ».

Se croyant naïvement éternel, palpitant de ses quatre humeurs hippocratiques (sang, aussi bien bleu veineux, que rouge artériel, flegme, bile jaune et noire), le naïf naissant, n’avait pas l’ombre d’un soupçon, qu’à l’ombre de son os, se signait un contrat tant sombre :

Le « Compromis » d’antan scellé entre mer et terre, décrétait qu’après la mer, la terre avait droit à la « Chair », car ce qui est d’argile friable, d’ « Ocre », qu’elle soit jaune, rouge ou brune, telle une peau, un teint, selon la nature de ses gènes, de ses « Oxydes », bien que le cœur fondant de larmes d’un noir torride, subira inéluctablement son sort sordide, et redeviendra terre… sale !

Mais, au bout de la salle, la noirceur pâle d’une enragée de mer, languissant de colère, annonçait la guerre par ses rafales, d’amas de rage, déchainant les « Amarrages » de l’ « Ocre », qui redevenait goutte, enfin libre…

J’en vibre !

Nouvelle métamorphose asymptotique à vivre ?

Affaire à suivre…

 

 

III/ L’Art, en contre :

 

 « A force de sonder la vie des choses et la nature de leur relativité,

tu arriveras à l’insoluble ; à force de contester la vie des choses

et leur relativité, tu arriveras au néant ; en sanctifiant les choses,

tu rencontreras le Dieu vivant. »

 

(Marlin Buber, Je et Tu)

 

…Troublant était le trou blanc !

C’est bien là alors, qu’allait toute cette lumière absorbée au fil des millénaires, des ans ?

Ou est-ce juste l’autre bout de la chambre noire d’antan ?

Accumulation : ainsi s’agençaient les 432 cellules aussi digitales que brutes dans un « feint » chaos aussi « feint » que l’ordre d’agencement à contre-fil des chiffres 4-3-2…

Puis, jaillissaient, tels tant de rayons fuyant le trou blanc, ces moments contrevenants, car capturant comme en contre-champs « êtres » et « non êtres »…

En contrebas, comme en contre-haut, les scènes de la vie quotidienne s’enchainaient, se déchainaient, de leur silence avouant un quotidien hors du commun, contre-épreuve de reliefs temporels rugueux qu’on croyait fins.

Enfin, le Noir et le Blanc de cette « Accumulation » semblant cependant plus iridescents que les couleurs vibrant de Vert, de Bleu et de Rouge, se faisant à contre-courant, pudiquement décents…

Car, justement, après le chaos apparent, la lumière des rayons fuyant le trou blanc, se voilant d’un « Ihram » de blanc, rangeait ses photons dans ses bagages, et partait en un ultime voyage, accomplissant un sacré pélerinage, non à la cubique « Kaaba », immuablement voilée d’une burqua noire, mais à quelques degrés de décalage, à l’obélisque de « Arafat », à la Montagne de la Miséricorde… y semant les lettres qui débordent…inséminant cette vierge éternelle, lors de noces annuelles, de noms, de vœux, de prières…peut-être même de chiffres, d’équations et de lignes s’enchevêtrant telle une arabesque peignant la fresque d’une Humanité noircissant les tréfonds, et laissant cependant une large marge d’écume, de blanc, où seuls quelques géants, mutants, dépassant la taille humaine de quelques saisons de raison, arrivent à flotter, à se déchainer telles des âmes en rage des amarrages les ancrant aux tréfonds…croyant naïvement rapprocher leurs vœux des cieux… oubliant, que d’un coup de brosse annuel, tous les vœux, tant des fonds que des cieux, se noieraient d’oubli…de blanc…

 

 

IV/ La Rencontre :

 

 « En tout Homme se trouve une part de solitude

qu’aucune intimité humaine ne peut remplir :

c’est là que Dieu nous rencontre. »

  (Roger Schutz)

 

Solitude inhabitable par les humains : Est-ce là où l’on se donne le rendez-vous immanquable avec le Divin ? Où l’on s’affranchit du cycle des réincarnations par extinction du désir humain (désir de répétition), accédant ainsi au « Nirvana », béatitude absolue, ou les huit béatitudes ouvrant le Sermon du Christ sur la Montagne, et détaillant les moyens d’accès au Royaume des Cieux ?

Est-ce là le « Paradis Perdu », où le cercle se délie de sa fatalité de résurrection, pour rencontrer finalement l’asymptote…devenir l’asymptote ?

Mais ce rendez-vous aura-t-il lieu, si le Lieu est chimérique, si le temps est fantastique puisque « Le temps humain ne tourne pas en cercle, mais en ligne droite ; c’est pourquoi l’Homme ne peut-être heureux, puisque le Bonheur est désir de répétition. » (Milan Kundera - L’insoutenable légèreté de l’être)

Ou vaudrait-il mieux redéfinir le Bonheur humain ?

Car heureuses, bien que perplexes, semblaient ces droites parallèles (à quelques « déviations accidentelles » près) dans leur contre-danse charnelle, incrustées dans la Chair des toiles rebelles…

Ébauche d’un « Tramage du Vide, imitant la création divine à son point de départ et non dans sa forme aboutie ? (Naceur Bencheikh : Le « Un » visible, et l’ « Invisible Rien », rendu visible)

Tramer son Vide ? Remplir sa Solitude inhabitable ? Redéfinir son Bonheur ?

Même si, par « Malheur », on devrait naître un Vendredi 13… Car, de toute façon, on ne voit le jour, que le jour où le monde sera prêt à nous voir, à nous rencontrer…même si ça « coïncide » avec ce jour fatidique…même si plusieurs sont ceux qui pensent qu’ « il n’est pas réaliste, ni digne d’un intellectuel qui se respecte, qu’en période exceptionnellement révolutionnaire, il se mette à discourir (ou à peindre) sur un mode abstrait, à caractère philosophique », comme disait Naceur Bencheikh, avant d’enchaîner : « … mais, j’estime que moi aussi, j’ai droit à la libre expression ! »

Après l’exposition « figurative » d’ « Hymne à… », peut-être qu’ « Asymptotes » n’est autre qu’une autre lecture, une autre « expression libre » sur le « mode abstrait » de cette Révolution (bien que théoriquement son ainée, comme une prémonition), qui tâtonne son chemin, sa ligne, sa droite, ou peut-être sa gauche, ou même son cercle ; cette révolution où Divin et Humain, semblent damnés à s’effleurer, à se frôler, sans qu’il y ait pour autant (du moins jusqu’au moment où ces mots s’écrivent), d’« Elections » ni de « Constitution » !

Finalement, paraphrasant Shakespeare disant : « La Science est l’Asymptote de la Vérité, elle approche sans cesse et ne touche jamais », je conclurais que L’Art est l’Asymptote du Divin, il approche sans cesse, et ne touche jamais !

Je me demande seulement : qui a alors mis ces « Touches divines » dans ces « œuvres artistiques » ?

Il parait que même le Divin ne peut résister au plaisir du toucher !

 

DNA

 (Cinq mois après la Révolution, une nuit avant l’Eclipse)

 


Effacement et renaissance

Meysem MARROUKI

 

 

C’est la deuxième exposition qui se tient à la Bibliothèque nationale toujours avec le soutien de Olfa Youssef, qui a donné son accord à cet événement quelques jours avant sa démission le 3 mai dernier. «Ce fut un accord verbal, que certains fonctionnaires honnêtes de la Bibliothèque nationale ont respecté après son départ. L’exposition a lieu, grâce aussi à l’insistance de Nouhed Jmaiel qui organise l’événement», nous explique Oussema Troudi, artiste plasticien et chercheur en arts plastiques à l’Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis. Ce dernier, avec son invité Ahmed Mâamar (Alias Eraser Man) , également plasticien et chercheur en arts plastiques à Paris, investissent les lieux, depuis le13 mai 2011 avec une exposition de photographies et de peintures, intitulée «Asymptotes – paraskevidékatriaphobie».

 

Un titre composé qui interpelle plus d’un. Le terme asymptote étant utilisé en mathématiques pour préciser des propriétés éventuelles d’une branche infinie de  courbes à accroissement tendant vers l’infinitésimal. C’est d’abord un adjectif d’étymologie grecque qui peut qualifier une droite, un cercle, un point ... dont une courbe plus complexe peut se rapprocher. Son emploi dans l’intitulé de l’exposition est symbolique. «Son étymologie renvoie à l’acte de “tomber ensemble” dans l’abîme de l’infini, à la recherche de quelque perfection. Cela ne ressemble-t-il pas quelque part à la situation actuelle du pays, dans différents domaines?», comme cela est mentionné dans un texte explicatif de l’exposition. Le second terme renvoie à la phobie du «vendredi 13», date du vernissage. Mais aussi le 13 comme la veille du départ de Ben Ali.

 

Dans le domaine scientifique, il arrive fréquemment d’étudier des fonctions dépendant du temps (évolution de populations, réaction chimique ou nucléaire, graphique de température, oscillation d’un amortisseur). Un des objectifs du chercheur est alors de connaître l’état à la fin de l’expérience, c’est-à-dire lorsqu’un grand intervalle de temps s’est écoulé. L’objectif n’est alors pas de connaître les variations intermédiaires, mais de déterminer le comportement stable, à l’infini du phénomène mesuré. Dans ce sens, les travaux de Oussema Troudi ne sont ils pas également une sorte d’étude du comportement asymptotique relatif à l’évolution des choses (sociale et politique) en Tunisie après le 14 janvier...? Car une asymptote «n’est elle pas cette utopie vers laquelle on tend sans jamais l’atteindre?», lit-on encore dans le texte de présentation.

 

Une histoire de coupure/continuité

 

Soutenues par les textes poétiques d’une jeune étudiante en art et décoration, Fatma Belhedi, les toiles traitées en technique mixte de Oussema Troudi nous décrivent ces morsures de la chair (toile) qui viennent dévoiler la fragile éclaboussure d’un os qui tend vers son dénuement. Sur ses toiles en grand format à la palette quasi fortuite (jaune ocre, bleu, rouge, blanc et noir l’artiste vient y déposer ses notes linéaires, sorte de ratures (palimpseste) ou ces «quelque trente-six mille droites, dessinées par un oubli…ces quelques trente-six mille, réduits à toujours rester aussi dignes que l’effacement de nos lignes…», comme l’écrit la jeune Fatma. Une série de lignes (droites ou inclinées) que l’artiste inscrit sur la toile sans rupture de note (surface) dans sa série de trois toiles «Chair, os et bleu ciel» et dans «Chair, ocres et oxydes». «Une manière d’appréhender autrement la toile, de la lire autrement aussi. Ainsi plonger dans mes lignes, je perds ce recul que j’ai avec le support et c’est une autre dimension qui s’ouvre à moi», explique l’artiste. Des ouvertures en réserve (en marge) dans sa toile  «Chair, ocres et oxydes» ou encore avec la coupure (momentanée des éclaboussures) qui se fait, subtilement, continuité dans ses triptyques : «Le compromis» et «Amarrage».

 

Nous retrouvons cette éternelle histoire de palimpseste avec sa série de tirages de photos numériques «Arafa»,  présentant des recadrages sur des photos numériques prises par un groupe de pèlerins tunisiens au mois de Ramadan 2010. L’artiste nous explique que sur la montagne de la Miséricorde, à Arafa, a été érigée une construction en forme d’obélisque recouverte d’enduits et de peinture blanche, où les pèlerins, y viennent inscrire (et bien que n’y faisant pas partie du rite), dans toutes les langues, leurs noms et leurs souhaits. Les murs blancs noircis par ces inscriptions sont, paraît-il, repeints chaque année avant la saison du grand pèlerinage. «L’un d’eux, muni d’un marqueur rouge, au lieu d’écrire, il a tracé des lignes. Ce fut mon mère», note l’artiste.

 

Encore de la photographie avec, entre autres, l’installation «Accumulation 2» présentant 432 clichés numériques (640/ 480 pixels) de Ahmed Maamar. Deux ans de photos prises à l’aide d’un téléphone portable, sans retouches ni effet post capture.

 

        Cela vaut vraiment le détour, d’autant plus que l’on est ravi par l’exploitation d’un nouvel espace d’exposition et pas n’importe lequel!