Le chat dépressif

   Quelque part, il y a ce chat géant et moche, celui que tu ne vois pas souvent mais qui te croises et qui te regarde dans les yeux en marchant, celui-là qui marmonne quelque chose en s’en allant.
   La nuit, ce chat de quartier marque à l'urine son territoire. Toutes les entrées potentielles et les lieux de passage d'un éventuel rival y passent : murs, arbres, pneus de voitures en stationnement... Le matin, tandis que murs, arbres et autres décors restent là, les voitures, elles, quittent le quartier et se dispersent le temps d'une journée dans les parking de la ville, où d'autres chats les marquent à leur tour. Tous les soirs, notre ami ne comprend pas, ses rivaux sont par dizaines, leurs marquages semblent se côtoyer sans les avoir gênés et par dessus le marché, ils sont invisibles. Commencent alors pour lui les grandes questions. Ce que la nature lui inflige est injuste. Rien dans ses gènes ne le prédispose à échouer autant. Au bord de la folie, ou de ce qui lui serait analogue pour les chats, il épuise alors de nouveau ses réserves d'urine et refait tout le travail à coup de jets nerveux... Se dépenser, voilà son unique réponse.

    D'autres, flairent sur les autoroutes une vague présence, s'y projettent souvent, et de rêve, préfèrent des fois traverser.